L’obligation d’avoir un intérêt pour effectuer une réclamation

by | Jan 11, 2017

L’intérêt d’assurance et le prête-nom – Tsontakis c. Aviva, compagnie d’assurances du Canada, 2016 QCCQ 2015

Dans une récente décision, la Cour du Québec, devait déterminer si un contrat d’assurance émis à une personne ou entité agissant comme prête-nom est valide, cette personne n’ayant aucun intérêt dans le bien assuré.

Les faits

Le demandeur, alléguant être assuré dans l’espèce, poursuit l’assureur suite au vol de sa voiture Camaro. Il réclame l’indemnité de remplacement du véhicule, ainsi que des dommages punitifs. L’assureur, en défense, invoque la nullité ab initio de la police d’assurance, puisqu’une entreprise s’en est déclarée propriétaire lors de l’émission de la police et non pas le demandeur.

Le demandeur est gérant de l’entreprise ayant acheté le véhicule. La seule actionnaire de cette entreprise est la mère du demandeur. En interrogatoire hors cour, cette dernière affirme ne pas être au courant des modalités entourant l’achat du véhicle, son fils étant l’unique utilisateur et s’acquittant de l’entièreté des mensualités. De plus, la police d’assurance ne mentionne aucun usage commercial au véhicule. En effet, le seul usage prévu est de permettre au demandeur de se rendre au travail.

Le vol survient le 27 avril 2012, alors que le demandeur se trouve en Grèce depuis le 1er avril. Pendant ce temps, la voiture est confiée à un ami du demandeur. Lorsque le vol est constaté, l’ami du demandeur contacte immédiatement la police. Ils sont informés que le véhicule est muni d’un dispositif de traçage fourni par la société Tag. Le dispositif est enclenché dès midi le jour même et est repéré, sans la voiture, plus tard dans la journée. Le représentant de Tag témoigne qu’il faut plusieurs jours à des voleurs pour détecter ce type de dispositif, qui est très bien dissimulé. Il est donc à son avis fort improbable que le véhicule ait été volé le jour même.

Analyse et décision

D’emblée, le tribunal déclare la police nulle ab initio, vu l’absence d’intérêt assurable par l’entreprise dont le demandeur est gérant.

Les articles 2481 et 2484 du Code civil du Québec contiennent la solution à ce litige. Ils se lisent comme suit :

2481. Une personne a un intérêt d’assurance dans un bien lorsque la perte de celui-ci peut lui causer un préjudice direct et immédiat.
L’intérêt doit exister au moment du sinistre, mais il n’est pas nécessaire que le même intérêt ait existé pendant toute la durée du contrat.

2484. L’assurance d’un bien dans lequel l’assuré n’a aucun intérêt d’assurance est nulle.

En sa faveur, le demandeur invoque l’arrêt de la Cour suprême Kosmopoulos c. Constitution Insurance Co., [1987] 1 RCS 2. Dans cette affaire, la Cour suprême avait déterminé que Monsieur Kosmopoulos avait un intérêt assurable sur les biens de sa société. Or, Kosmopoulos était l’actionnaire et administrateur unique de cette entreprise. Le tribunal fait une distinction entre cette affaire et la présente, puisqu’en l’espèce, le demandeur n’est que salarié de l’entreprise propriétaire du véhicule. L’entreprise n’est pas l’alter ego de l’assuré, elle a donc agi comme prête-nom dans l’achat du véhicule, contrairement à l’affaire Kosmopoulos.

Le tribunal adhère plutôt aux propos émis dans la décision Bonneau c. Compagnie d’assurance Élite, 2014 QCCS 3277. Quelle que soit la notion d’intérêt d’assurance qu’on veuille appliquer, un prête-nom n’a jamais d’intérêt d’assurance (paragraphe 150). C’est donc l’article 2484 du Code civil du Québec qui prévoit la nullité dans un tel cas.

Le demandeur ne peut pas bénéficier de l’indemnité de la police d’assurance, puisqu’elle a été émise uniquement au nom de l’entreprise l’employant. Le contrat d’assurance est nul ab initio, en raison de l’absence d’intérêt d’assurance de l’entreprise agissant comme prête-nom pour le demandeur. Le tribunal déclare donc la police nulle.

Cette décision est intéressante, car elle illustre très bien que pour avoir droit à l’indemnisation, l’assuré doit avoir un intérêt assurable dans le bien. Si un demandeur est actionnaire et administrateur de l’entreprise dont les biens sont assurés, on peut considérer ce dernier comme ayant un intérêt assurable. Par contre, faire l’emploi d’un prête-nom pour assurer un bien ne donne jamais d’intérêt assurable à ce prête-nom, la police devenant de ce fait nulle.

Thomas Perrino
Gradué de la licence en droit civil de l’université d’Ottawa

Les imprécisions sont la responsabilité de l’auteur.

Remerciements au professeur Vincent Caron, de la faculté de droit civil de l’Université d’Ottawa.