L’obligation de défendre

by | Mai 27, 2016

L’obligation de défendre et l’exclusion pour responsabilité contractuelle

La Cour d’appel, dans l’affaire Aldo Group Inc. c. Chubb Insurance Company of Canada 1 s’est

récemment penchée sur l’obligation de défendre incombant à l’assureur avec, comme trame de fond, un

litige commercial entre le Groupe Aldo inc. (Aldo), des émetteurs de cartes de crédit (MasterCard et

Moneris) et une banque (BMO). D’entrée de jeu, la Cour d’appel, par l’entremise de l’honorable juge

MarieFrance Bich, nous met en garde sur la singularité de l’affaire, notamment en ce qui a trait à

l’obligation de défendre de l’assureur (Chubb). Ceci n’enlève rien à la pertinence de la décision

concernant l’application de la clause d’exclusion en matière de responsabilité contractuelle.

Pour la petite histoire, Aldo conclut en janvier 2008 différents contrats avec Moneris en vue de permettre

à ses clients de payer par carte de crédit MasterCard dans ses commerces. Une annexe de ce contrat oblige

Aldo à respecter certaines normes de sécurité informatique afin de protéger les renseignements personnels

des clients. À défaut de respecter les standards de sécurité informatique établis et, advenant problème,

Aldo s’engage contractuellement à assumer les coûts de Moneris et de sa mandataire BMO, c’est-à- dire

les frais de surveillance et de remplacement des cartes de crédit compromises.

En septembre 2008, Aldo fut la cible d’intrusion informatique s’expliquant par le manquement de cette

dernière aux standards du protocole de sécurité. Conséquemment, MasterCard réclama de BMO la somme

de 4 891 628,13 $. Moneris (agissant pour BMO) avisa à son tour Aldo qu’elle débitera ses comptes de la

somme précédemment mentionnée considérant son engagement contractuel à respecter les standards de

sécurité. Cette ponction fut effectuée le 19 avril 2011, après que MasterCard ait prélevé le même montant

du compte de BMO.

En mai 2011, Aldo poursuit en justice Moneris et MasterCard alléguant que la ponction effectuée

directement dans ses comptes était injustifiée.

Mais que vient donc faire Chubb dans cette histoire ?

Durant la période pertinente, Aldo détenait auprès de Chubb une assurance responsabilité. Aldo aurait

dénoncé à Chubb l’intrusion informatique en temps opportun, qu’elle qualifie de « sinistre ». Sa

réclamation serait, selon Aldo, une « défense à la réclamation » faite contre elle lors de la ponction par

Moneris. Ainsi, elle demande à Chubb d’assumer sa défense dans sa propre réclamation contre Moneris et

MasterCard. Chubb refuse la demande d’Aldo se basant sur des exclusions de la police d’assurance.

Considérant ce refus, Aldo intente contre Chubb une action en jugement déclaratoire demandant

essentiellement au tribunal d’ordonner à cette dernière d’assumer ses frais d’avocats dans le cadre de son

recours contre Moneris et Mastercard.

Prétentions des parties

Aldo prétend que le fait que Chubb soit appelée à « défendre » une action entreprise par son assurée

n’empêche pas l’application de la police d’assurance vu les circonstances puisqu’il s’agit essentiellement

d’une défense face à la ponction faite contre elle par Moneris.

1 2016 QCCA 554

De son côté, Chubb prétend que la réclamation est exclue puisqu’il existe une exclusion à la police quant à

la responsabilité contractuelle et, également, que sa réclamation ne constitue pas une perte déclenchant

l’obligation de défendre et le paiement des frais de défense.

Questions en litige

A. Est-ce que la réclamation d’Aldo peut être considérée comme une perte au sens de la police ayant

déclenché l’obligation de « défendre » de Chubb ?

B. Est-ce que l’exclusion relativement à la responsabilité contractuelle dans la police d’assurance émise

par Chubb s’applique en l’espèce ?

C. Est-ce que Aldo a renoncé à certains droits enfreignant ainsi la police d’assurance la liant à Chubb ?

Le 6 mai 2013, l’honorable juge Marie-Anne Paquette de la Cour supérieure répondra par l’affirmative à

ces trois questions. En appel, les mêmes questions seront soumises à la cour par Aldo quant à l’exclusion

contractuelle et par Chubb quant à son obligation de défendre dans le cadre d’une réclamation intentée par

son assurée.

A. « Defensive response »

Se penchant sur l’appel incident de Chubb, la Cour d’appel confirmera la décision de la Cour supérieure

en ce que Chubb est tenue de soutenir son assurée dans l’action entreprise par celle-ci et d’en assumer les

coûts.

La clause de couverture 5-4.1 de l’avenant 15 de la police obligerait Chubb à indemniser Aldo de toute

perte (« any entity claim ») encourue par suite d’une réclamation qu’elle est légalement tenue de payer :

« Insuring Clause 5

Entity Liability & Security Holder Derivative Demand Coverage

4.1 The Company [Chubb] shall pay on behalf of the Insured Organization [Aldo]

all Loss which the Insured Organization becomes legally obligated to pay on account of

any Entity Claim or any Security Holder Derivative Demand first made against

such insured Organization during the Policy Period, or, if exercised, during the Extended

Reporting Period, for:

(a) in respect of any Entity Claim, any Wrongful Act, committed, attempted or allegedly

committed or attempted before or during thePolicy Period. »

De plus, la clause 11 de l’avenant 15 décrit ainsi les termes « Claim », « Entity Claim » et « Wrongful

Act »:

11. Subsection 38, Definitions, is amended by adding the following:

Claim means:

(d) For purposes of coverage under Insuring Clause 5 Entity Liability Coverage &

Security Holder Derivative Demand Coverage: any Entity Claim or any Security Holder

Derivative Demand.

[…]

Entity Claim means:

(a) a written demand for monetary damages,

(b) a civil proceeding commenced by the service of a statement of claim, notice of

application or similar pleading, or

(c) a formal administrative or regulatory proceeding commenced by the filing of a notice

of charges, formal investigative order or similar document,

Les termes utilisés ne réservent donc pas l’obligation de défendre aux seuls cas ou la réclamation est une

procédure judiciaire. Ceci étant, la cour prétend que dans le cas particulier de l’affaire, l’obligation de

défendre n’est pas limitée à la contestation d’une action en justice intentée contre Aldo, mais renvoie plus

généralement « aux notions de protéger, soutenir, secourir, intercéder ou appuyer » 2 et que la définition

donnée de l’expression « Defense cost » ne limite pas ceux-ci à une action en justice entreprise contre

l’assurée. La réception d’une « mise en demeure en dommages » pourrait requérir que l’assurée se défende

et doive intenter une action en justice contre la réclamante. En l’espèce, Chubb admet que la lettre de

Moneris avisant Aldo de la ponction de l’argent directement dans son compte constitue « a written

demand for monetary damages ». De plus, la clause 16 prévoit que Chubb « shall have the right and duty

to defend any claim covered by this policy ». Cette clause ne réserve pas l’obligation de défendre aux seuls

cas où la réclamation se manifeste par une procédure judiciaire. Le tribunal conclut :

« Il n’y a pas d’erreur manifeste et déterminante dans ce raisonnement, qui tend à

donner sa pleine portée à la clause 16 et mérite déférence. La juge n’aurait

d’ailleurs pu choisir meilleur terme que celui de « defensive response » pour

décrire l’action ontarienne d’Aldo. Dans une situation de ce genre, la clause 16

signifie donc que Chubb est tenue de soutenir son assurée dans l’action

entreprise par celle-ci, et d’en assumer les coûts. » 3

Ceci règle donc la question quant à l’obligation de défendre de Chubb dans le cadre de la

réclamation de Aldo. La cour souligne toutefois qu’il s’agit d’une situation inhabituelle qui

amène des motifs qui ne se veulent pas une proposition de principe. Ceci étant, on doit

maintenant se demander si Aldo perd cette obligation de défense de Chubb en raison d’exclusion

de la police d’assurance ou de renonciation de certain droit sans le consentement de Chubb.

B. Exclusion sur la responsabilité contractuelle

La police d’assurance en cause comprend la clause 6-13.2 (b) laquelle mentionne:

«13.2 The Company shall not be liable under Insuring Clause 5 for Loss on account of

any Entity Claim:

[…]

(b) based upon, arising from or in consequence of any actual or alleged liability assumed

under or as a result of any oral or written contract or agreement with the Insured

Organization. Provided, however, that this exclusion shall not apply to Loss for which the

Insured Organization would be liable in the absence of such a contract or agreement. »

2 Par. 54

3 Par. 57

Cette clause contient non seulement une exclusion mais également une exception à l’exclusion.

Essentiellement, Chubb n’assumerait aucune responsabilité face à une réclamation basée sur une

obligation contractuelle d’Aldo à moins que la responsabilité extracontractuelle de cette dernière

ne puisse être engagée en l’absence dudit contrat.

Considérant l’absence d’éléments mis en preuve par les parties pour pouvoir mettre les clauses

pertinentes en contexte et, se basant sur la doctrine pertinente, la Cour d’appel retient que :

« Les auteurs recensent ainsi diverses interprétations judiciaires : dans certains

cas, on estime qu’une clause de ce genre exclut la responsabilité contractuelle de

la couverture d’assurance, sauf si les mêmes faits sont de nature à engendrer

concurremment une responsabilité extracontractuelle et une responsabilité

contractuelle, c’est-à- dire lorsque la faute reprochée à l’assuré a un caractère

extracontractuel autant que contractuel; dans d’autres cas, on considère qu’elle a

pour but d’exclure, sauf exception, la situation dans laquelle l’assuré s’est

contractuellement engagé à assumer la responsabilité d’autrui (« hold harmless

agreement ») là où il n’aurait aucune responsabilité extracontractuelle à cet

égard; dans d’autres encore, on estime qu’elle a pour but d’exclure ces deux types

de responsabilité. » 4

Le tribunal retiendra cette dernière interprétation, et ce, pour les raisons suivantes.

Chubb soulève que la police ne pourrait couvrir les réclamations adressées à Aldo concernant,

par exemple, les comptes impayés ou des dettes impayées; ce n’est pas là l’objectif de la

couverture d’assurance telle que libellée. De son côté, Aldo prétend que sa responsabilité

extracontractuelle pourrait être engagée ici par la poursuite des détenteurs de cartes de crédit

floués ou même par MasterCard avec laquelle elle n’a aucun lien contractuel.

Or, ce qu’il faut examiner aux fins de l’application de la couverture d’assurance est la

réclamation en soit et non pas « une potentielle ou hypothétique réclamation qui aurait pu l’être,

mais ne l’a pas été. » 5

Ainsi, en se limitant au recours lui-même impliquant BMO et Moneris, tout indique que le

fondement est strictement contractuel. Le recours est basé sur une clause spécifique du contrat et

en l’absence de cette disposition contractuelle, Aldo ne pourrait voir sa responsabilité

extracontractuelle être retenue.

En conséquence, l’obligation de défendre de Chubb n’est pas enclenchée vu l’exclusion

concernant la responsabilité contractuelle.

C. La renonciation de Aldo

Contrairement au juge de première instance, la cour d’appel ne peut conclure que Aldo aurait

renoncé au droit de contester le fondement de la ponction effectuée. Son consentement

contractuel à la mécanique de la ponction effectuée n’est pas une reconnaissance aux prétentions

de Moneris et MasterCard. Il n’existe à la police d’assurance aucune autre disposition qui

4 Par. 80

5 Par. 91

pourrait être lue comme une renonciation pour Aldo de contester l’existence du manquement

reproché.

En conclusion, la Cour d’appel convient toutefois qu’il s’agit d’une solution atypique, basée sur

les termes particuliers d’un contrat d’assurance tout aussi particulier. Malgré tout, cette décision

nous démontre l’importance du libellé des clauses dans les polices d’assurance. Un manque de

précision ou un mot inopportun pourrait mener à une interprétation large et, peut-être,

éventuellement à une décision inattendue pour l’assureur.

Me Julien Meunier travaille au sein du cabinet d’avocats Gilbert Simard Tremblay. Il pratique

dans le domaine du droit des assurances, de la responsabilité civile et professionnelle et droit de

la construction. Nous vous invitons à communiquer directement avec Me Julien Meunier si de

plus amples renseignements sont requis.