La non-divulgation d’antécédents judiciaires

by | Août 17, 2015

La non-divulgation d’antécédents judiciaires à l’assureur est-elle cause de nullité ab initio du contrat d’assurance de dommages? Tremblay c. Compagnie mutuelle d’assurances Wawanesa, 2015 QCCS 26

 

La Cour supérieure du Québec a eu récemment à se demander si le fait que le preneur d’une police d’assurance ne déclare pas les antécédents judiciaires des personnes vivant dans la résidence visée par la proposition, alors que la question était posée par l’assureur, en l’espèce la compagnie mutuelle d’assurance Wawanesa (ci-après Wawanesa), puisse être cause de nullité ab initio du contrat.

Les assurés, Guylaine Tremblay et Sylvain Lavoie, sont conjoints depuis plusieurs années. Mme Tremblay communique par téléphone en juillet 2009 avec Wawanesa afin de faire assurer leur résidence, située à Sorel-Tracy. Aux fins de l’obtention d’une police d’assurance habitation, Mme Tremblay a du répondre à plusieurs questions de la préposée de Wawanesa en ce qui a trait aux caractéristiques du bâtiment, mais aussi sur les individus vivant dans la résidence, notamment en rapport avec leurs antécédents criminels :

 

« Est-ce que vous, ou toute personne vivant sous votre toit ou ayant librement accès aux lieux ou aux biens assurés, avez déjà fait l’objet de poursuites ou condamnations de quelque nature que ce soit, tant au niveau criminel que civil? »

 

À cette question, Mme Tremblay répond « non ». Pourtant, il s’avère que son conjoint, M. Lavoie, cumulait une longue feuille de route en matière d’infractions criminelles, de 1982 à 2009, ayant été trouvé coupable de menaces, de conduite avec facultés affaiblies, de voies de fait (dont certaines sur Mme Tremblay), d’introduction par effraction, de vol ou contrefaçon de carte de crédit et de recel.

 

Puisque les réponses données par Mme Tremblay cadraient dans les normes de souscription de l’assureur, une police habitation lui fut émise. En avril 2010, un incendie d’origine électrique se déclara dans le garage de Mme Tremblay et M. Lavoie, causant des dommages au garage et à la partie de l’immeuble adjacente au garage, obligeant le couple à quitter temporairement leur résidence.

 

Suite à la réclamation, les demandeurs Tremblay et Lavoie reçoivent une lettre de la part des avocats de Wawanesa leur mentionnant qu’ils ne recevraient pas l’indemnité du sinistre, et ce en raison des fausses déclarations quant aux antécédents de M. Lavoie. Les procureurs énoncent aussi que leur police d’assurance est nulle ab initio, les primes payées par Mme Tremblay et M. Lavoie leur seront simplement remboursées.

 

C’est cette question qui fait l’objet du litige. La police d’assurance doit-elle être annulée ab initio au motif que les demandeurs auraient fait des fausses déclarations à l’assureur au moment de la souscription de la police?

 

Pour répondre à cette question, la Cour met de l’avant une règle primordiale en matière contractuelle, soit le fait que « la bonne foi doit gouverner la conduite des parties » (article 1375 Code civil du Québec). Mais de plus, elle souligne que dans le domaine des assurances, cette règle est fondamentale, car l’assureur se fonde sur la bonne foi du preneur afin de souscrire une police d’assurance. On exige donc de la part de l’assuré qu’il réponde « au critère de la plus haute bonne foi. » :

 

« Quant à l’exigence d’un haut degré de bonne foi, c’est-à-dire l’insuffisance d’une simple bonne foi, elle est fondée sur la mutualité, élément essentiel de l’assurance. » (Didier LLUELLES, Précis des assurances terrestres, 5e éd., Montréal, Éditions Thémis, 2009, p. 237)

 

Ce qui est avancé par la Cour est aussi fondé sur l’application de l’article 2408 du Code civil du Québec :

 

« Art. 2408. Le preneur, de même que l’assuré si l’assureur le demande, est tenu de déclarer toutes les circonstances connues de lui qui sont de nature à influencer de façon importante un assureur dans l’établissement de la prime, l’appréciation du risque ou la décision de l’accepter, mais il n’est pas tenu de déclarer les circonstances que l’assureur connaît ou est présumé connaître en raison de leur notoriété, sauf en réponse aux questions posées. » [Je souligne]

En l’espèce, le preneur, Mme Tremblay, n’a pas déclaré les antécédents judiciaires de son conjoint, M. Lavoie, bien qu’elle en était au courant et que la question lui fut posée. Ces faits étant établis, est-ce une raison d’annuler ab initio la police d’assurance habitation?

 

Pour ce faire, l’assureur a le fardeau de prouver, en application de l’article 2408 du Code civil du Québec, que s’il avait été au courant de ces informations au moment de la souscription, il aurait refusé d’assurer le risque. Pour se décharger de ce fardeau, il doit démontrer deux éléments énumérés dans l’arrêt CGU, compagnie d’assurances du Canada c. Paul, 2005 QCCA 315 :

 

« [L’assureur] ne se décharge, en principe, qu’en faisant non seulement la preuve que lui-même n’aurait pas accepté le risque mais qu’également un assureur raisonnable ne l’aurait pas accepté. Cette preuve du comportement ou des pratiques de l’« assureur raisonnable » requiert le témoignage de tiers familiers de l’industrie. » [Je souligne]

 

Donc, l’assureur doit démontrer que la connaissance de ce facteur aurait influencé autrement sa décision de souscription sur le risque, et en l’espèce, aurait mené à un refus de souscrire. Pour s’y prendre, il est pertinent d’établir les us et coutumes des assureurs, mais les juges n’en sont pas garants. Il ne faut pas seulement prouver que « d’autres assureurs auraient été influencés; il faut aussi prouver que le fondement de cette influence est raisonnable » (Compagnie mutuelle d’assurances Wawanesa c. GMAC Location ltée, 2005 QCCA 197).

 

En l’espèce, la défenderesse, Wawanesa fait témoigner d’autres assureurs standard comme cette dernière, qui viennent confirmer que le risque représenté par le dossier criminel de M. Lavoie n’aurait pas respecté les normes de souscription de ces dernières. Ce risque qu’on qualifie de « risque moral », préoccupe grandement les assureurs quand vient le moment d’accepter d’assurer le risque. Cette préoccupation est résumée dans l’arrêt Madill c. Lirette, 1987 CanLII 533 (QC CA),

 

« L’assureur est autorisé à présumer que le proposant se conforme à la Loi et les appelantes ont démontré que le fait non déclaré en l’espèce était de nature à influencer un assureur raisonnable dans l’appréciation du risque.  Le risque moral est d’ailleurs de toute première importance en matière d’assurance incendie. » [Soulignement du tribunal]

 

Pour déterminer ce que l’assureur aurait fait en présence d’un risque moral, chaque cas est un cas d’espèce. Par contre, dans le cas présent, il a été mis en preuve qu’un assureur standard aurait refusé de couvrir ce type de risque dans les circonstances de cette cause. Il aurait été faux de croire que ce dernier aurait pu fournir une police d’assurance aux demandeurs, même plus onéreuse, s’ils n’avaient pas fait de fausse déclaration. Moyennant une prime plus élevée, les demandeurs auraient pu obtenir une police d’assurance de la part d’assureurs sous-standards.

 

Le tribunal conclut donc qu’il y a lieu d’annuler ab initio la police d’assurance des demandeurs, au motif qu’au moment de la proposition, ils ont délibérément fournis une information erronée, laquelle aurait grandement influencé la décision de l’assureur quant à la souscription ou non du risque.

 

Il en est toutefois autrement lorsque le preneur n’a pas connaissance des antécédents judiciaires d’une autre personne vivant sous son toit. Par exemple, dans un cas où le passé criminel du conjoint du preneur n’est pas connu de ce dernier au moment de la souscription de la police d’assurance, il est alors impossible pour le preneur de déclarer cette information à l’assureur, comme illustré dans la décision Paré c. Groupe Estrie-Richelieu, compagnie d’assurances, 2007 QCCS 4551 :

 

« À la lumière de ce qui précède, force est de constater que les circonstances omises, soit les antécédents judiciaires de monsieur Raymond, n’étaient pas connues de la demanderesse lors de la souscription initiale du risque et que, partant, elle ne pouvait être tenue de les déclarer, sans égard au fait que ces circonstances étaient ou non de nature à influencer de façon importante un assureur dans l’établissement de la prime, l’appréciation du risque ou la décision de l’accepter. » [Je souligne]

 

La décision Tremblay c. Compagnie mutuelle d’assurances Wawanesa met en lumière l’importance de la divulgation des renseignements, lorsque demandés par l’assureur, lors de la souscription.

 

Thomas Perrino

Étudiant en droit civil

Université d’Ottawa

 

Les imprécisions sont la responsabilité de l’auteur.

 

Remerciements au professeur Vincent Caron, de la faculté de droit civil de l’Université d’Ottawa.