L’ENTREPRENEUR EST-IL ASSURÉ POUR SES MALFAÇONS ?
Tous ont déjà entendu dire que les réclamations pour malfaçons n’étaient pas couvertes par l’assurance. Or, depuis la décision de la Cour suprême dans l’affaire Progressive Home c. Compagnie d’assurance générale Lombard, les assureurs doivent faire un examen minutieux des réclamations présentées contre leurs assurés entrepreneurs, en parallèle avec les polices d’assurances CGL (Commercial General Liability Policy) émises qui, dans certains cas, pourraient trouver application.
En effet, cette décision de la Cour suprême a changé l’interprétation de certaines définitions contenues aux polices de ce type, ce qui oblige à modifier l’analyse de l’obligation de défendre des assureurs dans les réclamations de construction. Plus récemment, la Cour d’appel du Québec appliquait la décision de Progressive Home dans l’affaire Intact compagnie d’assurance c. Construction GSS Gauthier 2000 inc. En février 2015, la Cour supérieure mentionnait ces deux (2) décisions dans l’affaire Axor Construction Canada Inc. c. SerCo.
Ainsi, la Cour suprême tout comme la Cour d’appel ont discuté des principes généraux qui sous-tendent l’obligation de défendre, la définition de dommages matériels et la notion d’accident au sinistre dans le cadre d’une police émise sur une base d’événement. Dans l’affaire Intact, la cour a conclu que les travaux pour réparer le travail déficient de l’assuré, dans ce cas-ci la réfection du toit, du pare vapeur et certains travaux initialement omis par l’entrepreneur, relèvent d’un « dommage matériel » au sens de la police d’assurance de responsabilité générale.
De plus, dans les affaires Intact et Axor Construction, l’assureur a tenté de faire valoir que la garantie d’assurance ne s’appliquait pas puisque la réclamation afférente à la garantie de qualité dont la malfaçon ne résulte pas d’un « sinistre » au sens de la police. La majorité des polices d’assurance définissent sinistre comme étant un accident, et la question de savoir si la malfaçon constitue un accident est nécessairement propre au fait en l’espèce. Elle dépend à la fois à des circonstances de la malfaçon alléguée dans les actes de procédures et de la façon dont le terme accident est défini dans la police. La décision Progressive Home se fonde sur le sens ordinaire de la notion d’accident et soutient que ce terme vise la conduite négligente ayant causé des dommages, lesquels n’étaient « ni prévus, ni voulus par l’entrepreneur ». Par la suite, une fois l’analyse complétée sous l’application de la police à l’effet qu’il s’agit d’un dommage matériel résultant d’un accident, on doit analyser les exclusions.
La majorité des polices d’assurance de la responsabilité générale prévoient une exclusion pour le dommage matériel à toute partie d’un bien devant être remis en état, réparé ou remplacé en raison de la mauvaise exécution des travaux de l’entrepreneur.
Or, dans la décision de Progressive Home il y a eu une preuve d’administrée à l’effet que les travaux de construction inadéquats avaient été faits par des sous-traitants de l’entrepreneur. Or, la cour a décidé que l’exclusion des travaux exécutés par l’assuré ou (l’entrepreneur) ne s’appliquait pas aux sous-traitants. Puisqu’il existe une possibilité de protection pour les dommages découlant des travaux exécutés par un sous-traitant, l’assureur devait défendre son assuré entrepreneur et payer tous les frais reliés à cette défense. Quant à l’affaire Intact, la Cour d’appel a refusé d’appliquer l’exclusion du moins aux dommages matériels découlant de la mauvaise exécution des travaux de l’entrepreneur puisque le libellé de la clause ambiguë laissait sous-entendre que cette exclusion-là ne s’appliquait pas à l’égard des dommages matériels visés par le « risque produit après travaux » qui fait en sorte que l’assuré a le droit d’être payé pour tout dommage matériel au contrat.
La Cour supérieure résume la théorie de la cause de cette façon :
« Des infiltrations d’eau sont survenues dans le secteur des douanes américaines un (1) an après la fin des travaux de construction et ces infiltrations d’eau seraient causées par des malfaçons dans la construction des cuisines de l’hôtel situé au-dessus de ce secteur. »
Les dommages qui en ont résulté ont causé des dommages à la propriété, notamment au gypse du plafond du secteur des douanes américaines, et des ouvertures ont dû être pratiquées pour accéder aux éléments responsables des infiltrations d’eau. Évidemment, les malfaçons ont dû être réparées et des coûts de sécurité engagés pendant les travaux. De plus, des équipements ont dû être loués et des inconvénients en ont résulté. Selon le juge, il est difficile d’exclure, comme le soutient Lloyd’s, les événements qui surviendraient après que le projet de construction ait été complété. La description de la couverture n’impose aucune restriction temporelle de manière spécifique ou sous-entendue. La définition de « occurrence » à la police fait appel à un événement soudain non prévu, ni voulu par l’assuré. Aucune allégation dans la requête ne suggère que les malfaçons attribuables à l’entrepreneur ou aux autres sous-entrepreneurs sont intentionnelles, et dans ce contexte, rien n’empêche de conclure que les malfaçons puissent même constituer un accident (occurrence) couvert par la police. Les exclusions discutées dans cette décision de la police portent sur deux (2) éléments : la première (1ère), la perte résultant de l’« improper or inadequate performance », cette exclusion ne s’appliquant cependant pas aux dommages causés à la propriété par un événement (occurrence) qui en résultent. La deuxième (2e) exclusion est celle des coûts relatifs à la correction des malfaçons (faulty workmanship) dont l’entrepreneur peut être responsable, mais cette exclusion ne s’applique pas aux dommages à la propriété reliés à cette malfaçon.
Ainsi, le juge en vient à la conclusion que la police d’assurance couvre au minimum les dommages à la propriété causés par les infiltrations d’eau, telle la réparation au gypse détérioré par l’eau ainsi que la perte d’usage de la propriété qui découle de ces infiltrations qui peut être comprise à l’item « perte de productivité et inconvénients ». L’obligation de défendre est dès lors enclenchée. À défaut d’entente entre Lloyd’s et SerCo sur la manière de conduire la défense et d’en attribuer les coûts, elles devront attendre que la preuve au fond soit complétée pour déterminer, d’une part, ce qui est couvert ou non par la police, et d’autre part, les frais additionnels engagés dans la défense des éléments de la réclamation qui ne seraient pas couverts. Finalement, le juge conclut qu’en attendant Lloyd’s devra assumer son obligation de défendre.
Il faut se rappeler que les assureurs ont deux (2) obligations distinctes en vertu de leur police d’assurance, la première c’est l’obligation de défendre et la deuxième, l’obligation d’indemniser. Il est important de retenir qu’il s’agit de deux (2) obligations distinctes et le fait que l’assureur accepte de défendre un assuré dans une poursuite ne va pas nécessairement entraîner son obligation d’indemniser par la suite.
Le libellé de la procédure ainsi que le mot à mot de la police d’assurance doivent être analysés lorsqu’un assureur reçoit une réclamation reliée à des malfaçons. L’ambiguïté ou le doute sur la possibilité que la réclamation soit couverte par le contrat d’assurance permettra à l’entrepreneur de bénéficier de la défense de son assureur sans frais pour le litige (frais d’avocats, experts, etc.). Quant à l’obligation d’indemniser, cette dernière obligation sera réévaluée en fonction de la preuve administrée au procès.
Un assureur qui reçoit donc une réclamation de ses assurés visant des malfaçons devrait donc obtenir une opinion d’un avocat sur la couverture d’assurance qui pourrait trouver application, à tout le moins, au niveau de la défense, ce qui aurait pour effet d’éviter un litige entre l’assuré et l’assureur sur la conduite de la défense.
Me Leblanc est associée au cabinet Gilbert Simard Tremblay. Depuis 15 ans, elle pratique particulièrement dans les domaines du droit de l’assurance, de la construction et de la responsabilité professionnelle. Elle a acquis une solide expérience dans ces domaines de droit et plaide régulièrement dans toutes les instances judiciaires du Québec soit à la Cour du Québec, la Cour Supérieure et la Cour d’appel. Pour de plus amples information,s veuillez communiquer avec Me Isabelle Leblanc.
Me Isabelle Leblanc