La faute intentionnelle

by | Déc 13, 2015

Roy c. SSQ, Société d’assurances générales inc., 2015 QCCA 1717 – La faute intentionnelle et l’appréciation du rapport d’expert

Dans une récente décision de la Cour d’appel, le tribunal a eu à se questionner sur la démarche du juge de première instance quant à la conclusion de la participation d’un l’assuré à une faute intentionnelle dans l’incendie et la perte de sa résidence. Afin de comprendre cette problématique, cette chronique s’articulera autour des faits de l’affaire, permettant de dresser une illustration intéressante d’un cas où la faute intentionnelle de l’assuré a été démontrée.

L’appelant Roy (ci-après l’assuré) réclame l’indemnité d’assurance à l’intimée SSQ (ci-après l’assureur), suite à l’incendie de sa résidence à Saint-André-d’Argenteuil. L’assureur a refusé d’indemniser l’assuré pour ce dommage, alléguant que l’incendie était du à la faute intentionnelle de ce dernier, au sens de l’article 2464 du Code civil du Québec, RLRQ c C-1991 (ci-après Code civil), au premier alinéa:

« 2464. L’assureur est tenu de réparer le préjudice causé par une force majeure ou par la faute de l’assuré, à moins qu’une exclusion ne soit expressément et limitativement stipulée dans le contrat. Il n’est toutefois jamais tenu de réparer le préjudice qui résulte de la faute intentionnelle de l’assuré. En cas de pluralité d’assurés, l’obligation de garantie demeure à l’égard des assurés qui n’ont pas commis de faute intentionnelle. »

Le juge de première instance a donné raison à l’assureur. En appel, l’assuré reproche au juge de première instance d’avoir erré en concluant à un incendie d’origine criminelle et que l’assuré en était responsable. Ce dernier invoque deux moyens pour justifier son appel. Le premier, portant sur l’appréciation de la preuve d’expert par le juge, sera abordé brièvement. Le second, portant sur l’application des règles applicables aux présomptions de fait, qui permettent de conclure à un acte intentionnel, sera plus longuement discuté.

Comme premier moyen, l’assuré reproche au juge de première instance d’avoir erré dans son appréciation de la preuve quant à l’expert désigné par l’assureur. En effet, il lui reproche d’avoir donné une prépondérance trop grande au témoignage de l’expert de l’assureur. Or, la Cour d’appel rappelle que pour que cette dernière soit fondée à intervenir sur l’appréciation de la preuve par un juge de première instance, la partie qui allègue l’erreur a le fardeau de prouver que cette erreur était manifeste et déterminante. « En matière de preuve d’expert, le juge jouit d’une grande latitude et la Cour doit faire montre de retenue à l’égard du caractère convaincant qu’il lui attribue. » (Au par. 26.)

La Cour d’appel ne juge donc pas qu’il était infondé que le juge de première instance estime, suite à la preuve d’expert, que c’est un incendie allumé intentionnellement qui en toute probabilité a détruit la résidence.

Comme second moyen, l’assuré conteste l’application qu’a fait le juge de première instance des règles en matière de présomption de faits, alléguant qu’il était impossible de conclure à un acte intentionnel lui étant imputable (au par. 30). L’assuré reproche au juge de première instance d’avoir donné peu de crédibilité à son témoignage. Encore une fois, c’est l’assuré qui a le fardeau d’identifier les erreurs manifestes et déterminantes qu’aurait commises le juge.

La Cour rappelle que « La force probante du témoignage est laissée à l’appréciation du tribunal. La crédibilité découle de l’opinion du juge sur les éléments perçus au procès, de son expérience, de sa logique et de son intuition à l’égard de l’affaire. (Au par. 32.) » Sont aussi prises en compte aux fins de l’appréciation les contradictions du témoin lors de son interrogatoire.

En l’espèce, aucun poids n’a été accordé au témoignage de l’assuré en première instance : sa crédibilité ayant été entachée par sa version des faits singulière, ses contradictions, réajustements et silences. Son témoignage s’en trouve par le fait même irrémédiablement vicié (au par. 36). On en conclut donc qu’aucune erreur manifeste sur l’appréciation de la crédibilité du témoignage n’est démontrée. Ce témoignage faible ainsi que plusieurs éléments de preuve ont permis au juge de déduire qu’en toute probabilité, l’incendie avait été causé par un acte intentionnel de l’assuré.

Afin de bien comprendre ce raisonnement, la Cour propose en ordre chronologique certains éléments du jugement attaqué, pertinents à la compréhension de l’espèce :

Tout d’abord la résidence incendiée a déjà été mise en vente mais est restée sur le marché un an et demi sans recevoir la moindre d’offre d’achat. L’assuré s’est de plus contredit quant aux réels propriétaires de cette résidence. En effet, après s’être déclaré seul propriétaire, l’assuré s’est rétracté en indiquant que dans les faits, sa conjointe et lui étaient copropriétaires de la résidence, mais que cette dernière ne « passait pas » au crédit à l’époque de l’achat de la résidence. Cette contradiction, selon l’appréciation du juge de première instance, affecta grandement la crédibilité de Roy

Par ailleurs, la situation financière de l’assuré à l’époque de l’incendie « était très moyenne » aux dires du juge de première instance. Au surplus, les circonstances entourant les événements sont particulières : l’assuré, la veille de l’incendie a exceptionnellement garé le véhicule de sa conjointe à l’extérieur du garage, ce qu’il ne fait jamais. Par la suite, il quitte pour la fin de semaine et laisse son chien chez son locataire. Au lieu de lui donner son numéro de téléphone cellulaire, il lui laisse le numéro de son père. Or, lors de l’interrogatoire préalable, l’assuré a affirmé qu’il a donné à son locataire le numéro de son frère chez qui il allait passer la fin de semaine. C’était d’ailleurs la première fois que l’assuré allait visiter son frère, qui réside à près de huit heures de voiture de son domicile.

En sus, le juge de première instance ne retient pas le témoignage du locataire de l’assuré. En effet, ce dernier est allé, sans raison, faire un tour de voiture à 22h, en pleine noirceur. Cette sortie coïncidait avec le moment de l’incendie. Le juge de première instance s’exprime comme suit : « En toute probabilité, on peut affirmer que lorsque le hasard fait trop bien les choses, ce n’est plus du hasard.  Ce locataire avait été informé qu’il fallait quitter les lieux durant cette période. (Au par. 172 du jugement de première instance.) »

Bien que le juge ne puisse statuer sur la complicité du locataire, il estime que son départ des lieux pour aller se « promener en pleine noirceur », au moment où le feu fait rage, « accrédite la thèse de l’incendie volontaire. » Bien que cet élément ne soit pas déterminant pour sceller l’issue du litige, le comportement du locataire au soir des événements est pris en compte par le juge de première instance.

Un autre élément pris en compte est la présence de pneus calcinés collés sur le bâtiment. En effet, l’assuré s’est contredit à leur sujet, argüant tout d’abord qu’il était impossible qu’ils soient à cet endroit, pour ensuite dire qu’ils devaient être là afin d’être jetés et finalement se raviser pour dire qu’il les avait donné à son locataire. L’assuré ne pouvait dire à quel moment il avait donné ses pneus à son locataire. Ce moment pouvait se situer plus de trois mois avant l’incendie. L’assuré ne les aurait pas remarqué, placés contre son bâtiment depuis le moment où il les aurait donné. L’assuré est par la suite contredit par son locataire, puisque ce dernier avait déjà des pneus d’hiver installés sur sa voiture.

L’ex-conjointe de l’assuré, conjointe de ce dernier à l’époque de l’incendie, a témoigné en première instance. Elle-même avait de forts doutes quant à l’implication de l’assuré dans l’incendie de la résidence. Ce dernier lui avait déjà mentionné son désir de faire bruler cette résidence, qui à ses dires était cause de plusieurs problèmes. De plus, l’ex-conjointe a trouvé suspect le fait que l’assuré, peu de temps avant l’incendie, sorte des biens de la résidence. Le juge de première instance trouve « hautement significatif » les doutes de l’ex-conjointe. Doutes qu’elle entretient dès le moment où le sinistre survient.

Suite à toutes ces considérations, la Cour en vient à conclure à un acte intentionnel de l’assuré. Les présomptions contre l’assuré sont graves, précises et concordantes. Tous les faits prouvés permettent d’exclure raisonnablement une cause autre que l’incendie intentionnel, provenant en toute probabilité du fait de l’assuré. Pour cette raison, la Cour d’appel estime que le juge en première instance n’a commis aucune erreur manifeste et déterminante en concluant de la sorte. Pour cette raison, le pourvoi est rejeté.

Cet arrêt est pertinent, car il illustre un cas d’espèce où l’application de l’article 2464 du Code civil trouve une démonstration concrète. Pour retenir la faute intentionnelle d’un assuré, il faut statuer en fonction de faits précis et concordants faisant conclure à une présomption grave. La détermination de l’acte intentionnel est contraire à la règle générale, qui veut que l’issue d’un litige civil se décide par la prépondérance des probabilités (article 2804 du Code civil), soit à toutes fins pratiques la partie qui prouve à 50%+1 ses prétentions. Dans le cas en l’espèce, il fallait démontrer qu’il était impossible, dans les limites de ce qui est raisonnable, qu’une autre cause soit à l’origine du sinistre.

Démontrer la faute intentionnelle de l’assuré n’est pas une mince tâche. Par exemple, un jugement a statué que l’assuré qui a incendié sa résidence, alors qu’il souffrait d’hallucinations suite à la prise d’un cocktail de drogues et d’alcool, n’avait pas perpétré ce geste par acte intentionnel, « car il faut non seulement que le demandeur ait prévu les conséquences de l’acte commis, mais encore qu’il ait voulu ces conséquences et en ait cherché la réalisation »(Guilbault c. Groupe Commerce (Le), compagnie d’assurances, [1996] R.R.A. 1021 (C.A.)).

 

Thomas Perrino

Étudiant en droit civil

Université d’Ottawa

 

Les imprécisions sont la responsabilité de l’auteur.

 

Remerciements au professeur Vincent Caron, de la faculté de droit civil de l’Université

d’Ottawa.