L’ASSUREUR RESPONSABILITÉ EST-IL TENU D’ASSUMER LA DÉFENSE DE SON ASSURÉ DANS UNE POURSUITE JUDICIAIRE LORSQUE CE DERNIER A CONTREVENU À UN ENGAGEMENT FORMEL?
Le juge François Huot de la Cour supérieure s’est récemment penché sur cette question dans le cadre d’un jugement interlocutoire qu’il a rendu le 31 juillet 2015 (Royal & Sun Alliance du Canada, société d’assurances c. Toitures Qualitoit inc., 2015 QCCS 4080).
Dans cette affaire, la demanderesse, Royal & Sun Alliance du Canada, société d’assurances (ci-après : « RSA »), a intenté un recours subrogatoire contre Toitures Qualitoit inc. (ci-après : « Qualitoit ») et l’assureur de cette dernière, Les Souscripteurs du Lloyd’s (ci-après : « Lloyd’s ») suite à l’incendie de l’immeuble de son assurée. RSA impute l’entière responsabilité du sinistre aux travaux de soudure réalisés par les employés de Qualitoit. Dans sa requête présentée au juge Huot, Qualitoit demande à ce qu’il soit ordonné à son assureur, Lloyd’s, d’assumer à ses seuls frais sa défense dans le cadre du recours intenté par RSA en plus d’être autorisée à être représentée par un procureur distinct de celui-ci. Pour sa part, Lloyd’s, afin de faire échec à la requête de Qualitoit, demande au tribunal la permission de produire en preuve deux déclarations écrites afin d’établir qu’un engagement formel prévu à la police d’assurance n’a pas été respecté par cette dernière.
Lloyd’s cherche ainsi à mettre en preuve les déclarations écrites de deux employés de Qualitoit à l’effet qu’aucun détecteur de chaleur n’avait été utilisé pendant et après les travaux en cause, ce qui contreviendrait à un engagement formel de la police d’assurance. Selon Lloyd’s, le manquement de son assurée à un engagement formel a suspendu la couverture d’assurance au moment de l’incendie et il ne serait ainsi pas tenu d’assumer sa défense.
Dans son jugement, le juge François Huot rappelle d’abord les principes applicables à l’obligation de défendre de l’assureur. Celui-ci est ainsi tenu d’opposer une défense si les actes de procédure énoncent des faits qui, s’ils se révélaient véridiques, exigeraient qu’il indemnise son assuré relativement au recours intenté. La simple possibilité de l’existence d’une protection suffit donc et il n’est pas pertinent d’estimer les chances de l’assuré de prouver que son assureur sera éventuellement tenu de l’indemniser. Faisant référence à une décision de la Cour suprême (Progressive Homes Ltd. c. Cie Canadienne d’assurances Lombard, [2010] 2 R.C.S. 245), le juge Huot énonce les deux situations identifiées par le plus haut tribunal où l’obligation de défendre de l’assureur ne sera pas engagée, soit :
1) lorsque la demande ne relève pas de la portée de la police parce qu’elle n’est pas visée par la protection initiale;
2) lorsque la demande ne relève pas de la portée de la police en raison d’une clause d’exclusion.
Il note ensuite que ni dans cette dernière décision ni dans quelque autre arrêt, la Cour suprême n’identifie le manquement à un engagement formel comme étant un motif d’opposition à l’obligation de défendre de l’assureur. Affirmant que dans ce type de demande « tout doit jouer en faveur de l’assuré », le juge Huot infère donc qu’il serait inapproprié d’accorder aux deux scénarios d’exception identifiés par la Cour suprême une portée plus large. Ainsi, pour le seul motif que la demande de RSA vise la protection initiale de la police et qu’elle ne concerne aucune clause d’exclusion, le tribunal accueille la requête présentée par Qualitoit et oblige Lloyd’s à assumer sa défense.
Bien qu’il n’avait plus à se prononcer sur la demande de Lloyd’s de présenter sa preuve extrinsèque afin de justifier son refus de défendre Qualitoit, le juge Huot a néanmoins choisi de s’y pencher et de la rejeter en considérant les circonstances propres de l’affaire et les principes énoncés en jurisprudence. Finalement, il a autorisé Qualitoit à retenir les services d’un avocat de son choix puisque le conflit l’opposant à son assureur entraînait inévitablement une rupture du lien de confiance entre celle-ci et les procureurs de Lloyd’s.
À la lumière de ce jugement, un assureur ne peut se soustraire de son obligation de défendre son assuré en raison du non-respect par ce dernier d’un engagement formel, mais il serait néanmoins intéressant d’entendre la Cour d’appel se prononcer sur ce sujet.