La Cour suprême s’est récemment exprimée sur une question ayant une grande importance en matière de blessures corporelles pour les assureurs responsabilité au Québec. Dans la décision Godbout c. Pagé[1], la Cour suprême se prononce sur l’appel des deux arrêts de la Cour d’Appel, Pagé c. Godbout[2] ainsi que Gargantiel c. Québec (Procureure générale)[3].
Les faits des deux décisions au cœur du litige tranché par la Cour suprême sont similaires, les victimes ont toutes deux subi un préjudice supplémentaire dû à la faute de tiers suite à un accident automobile.
Dans Pagé c. Godbout[4], Mme Godbout subit de nombreuses blessures des suites d’un accident automobile couvert par la Société de l’assurance automobile du Québec (ci-après «SAAQ»). Malgré que Mme Godbout reçoive des indemnités de la SAAQ, elle intente également des procédures contre des médecins et un hôpital puisqu’elle estime que l’amputation et l’atteinte neurologique qu’elle a subies n’ont pas été causées par l’accident automobile, mais bien par les fautes des défendeurs qui ont aggravé sa situation.
Dans Gargantiel c. Québec (Procureure générale)[5], M. Gargantiel subit également un accident automobile et la Société OnStar contacte le Centre de gestion des appels de la Sûreté du Québec. Les policiers se présentent sur les lieux de l’accident et ne peuvent localiser le véhicule, puis ils abandonnent leurs recherches. M. Gargantiel est retrouvé plus de 40 heures après l’accident près de l’endroit indiqué par les coordonnées GPS du système OnStar. M. Gangantiel a dû se faire amputer la jambe droite en raison de séquelles d’engelures. Bien qu’il reçoive des indemnités de la SAAQ, il intente un recours civil en raison de l’aggravation de son préjudice contre le Procureur général du Québec en alléguant la négligence des agents de la Sureté du Québec.
La Cour suprême conclut que conformément à l’objectif de la Loi sur l’assurance automobile (ci-après «Loi»), les automobilistes assument, en tant que collectivité, les risques financiers liés aux blessures corporelles et à la conduite automobile[6]. Le lien de causalité en matière d’indemnisation prévu par la Loi ne peut être assimilé à celui qui prévaut en matière civile[7]. Ainsi, la victime d’un accident automobile doit être indemnisée en vertu de la Loi pour le préjudice corporel qui découle de l’accident ainsi que pour le préjudice qui découle «d’une série d’événements liés de façon plausible, logique et suffisamment étroite, et dont le point de départ dans les deux cas est l’accident d’automobile»[8]. Mme Godbout et M. Gargantiel ne peuvent donc intenter un recours civil contre les auteurs de fautes subséquentes à leur accident puisque le préjudice corporel a été causé dans un accident automobile au sens de la Loi.
Cette décision a un effet appréciable sur les risques assumés par les assureurs en matière de responsabilité civile, car les défendeurs fautifs qui causent une aggravation subséquente à un accident automobile n’auront pas à indemniser la victime. Dans la mesure où le lien entre le préjudice causé ou aggravé par la négligence ou la faute d’une tierce partie et l’accident automobile est plausible et logique, les tribunaux rejetteront les recours des victimes contre les tiers.
Toutefois, cette décision n’a pas pour effet de mettre les tiers à l’abri d’une poursuite déontologique, pénale ou criminelle[9].
Par Me Pierre-Alexandre Fortin &
Michelle Audet-Turmel, stagiaire en droit
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Me Pierre-Alexandre Fortin est associé au sein du cabinet d’avocats Tremblay Bois Mignault & Lemay s.e.n.c.r.l. depuis les 15 dernières années. Il pratique exclusivement dans le domaine du droit des assurances, de la responsabilité civile ainsi qu’en responsabilité professionnelle et conformité.
Sa pratique est concentrée auprès d’une clientèle diversifiée constituée de compagnies d’assurance, de courtiers d’assurance ainsi que d’assurés qui l’amènent à plaider régulièrement devant les instances civiles et administratives situées dans tous les districts judiciaires de la Province du Québec. Nous vous invitons à communiquer directement avec Me Pierre-Alexandre Fortin si de plus amples renseignements sont requis.
[1] 2017 CSC 18
[2] 2015 QCCA 225
[3] 2015 QCCA 224
[4] 2015 QCCA 225
[5] 2015 QCCA 224
[6] Godbout c. Pagé, 2017 CSC 18, par. 29.
[7] Godbout c. Pagé, 2017 CSC 18, par. 28.
[8] Godbout c. Pagé, 2017 CSC 18, par. 70.
[9] Pagé c. Godbout, 2015 QCCA 225, par. 77.