LA PERTE DE REVENUS DOIT-ELLE ÊTRE FIXÉE SELON LE REVENU NET OU LE REVENU BRUT?
Le 16 janvier 2013, la plus haute cour de la province tranchait un débat important en matière de calcul des dommages-intérêts dus à une victime de blessures corporelles.
Dans l’affaire Ville de Montréal c. Wilson Davies (2013 QCCA 34), la Cour d’appel était saisie d’un appel principal concernant la responsabilité de la Ville et d’un appel incident quant au calcul des dommages-intérêts pour la perte de revenus passée de Mme Wilson Davies. Le 12 mai 2007, cette dame avait fait une chute à vélo alors qu’elle circulait sur le boulevard Ste-Croix, à Montréal. En première instance, la preuve avait démontré qu’alors qu’elle descendait la rue, trois puisards se trouvaient côte à côte et n’avaient pas pu être évités. Considérant le positionnement des puisards, leur largeur et l’orientation des grilles, ceux-ci constituaient, selon la juge Mandeville de la Cour supérieure, un piège qui avait été la cause directe de l’accident de Mme Wilson Davies.
En Cour d’appel, la Ville contestait les conclusions de la juge de première instance en invoquant notamment son absence de faute et l’absence de lien causal entre le dommage et la faute alléguée. Pour sa part, Mme Wilson prétendait que le dommage évalué pour sa perte de revenus passée aurait dû être calculé selon ses revenus bruts (242 000$) plutôt que nets (189 000$).
Après analyse, la Cour d’appel maintient le jugement de la juge Mandeville quant à la responsabilité de la Ville concluant qu’il s’agissait effectivement d’un piège et que l’emplacement et le positionnement des puisards était la cause directe de l’accident de Mme Wilson Davies.
En ce qui concerne la question du calcul des dommages devant être versés pour la perte de revenus passée, la Cour analyse les deux courants jurisprudentiels contradictoires. La tendance majoritaire, soutenue par le professeur Gardner et reprise dans plusieurs décisions des tribunaux inférieurs, s’appuie principalement sur l’article 1611 du Code civil du Québec, qui prévoit que « les dommages-intérêts dus au créancier compensent la perte qu’il subit et le gain dont il est privé». Ainsi, comme la victime aurait normalement dû payer des impôts sur son revenu n’eut été de son accident, elle ne peut avoir droit à son revenu brut puisque cela constituerait un enrichissement injustifié. La thèse du revenu brut se fonde pour sa part sur la décision Jennings de la Cour suprême du Canada rendue en 1966. La question dans cette affaire était de déterminer si la victime avait droit, pour le calcul de l’indemnité pour ses pertes de revenus futurs, au salaire brut ou net. À cette occasion, la Cour avait tranché en faveur du revenu brut. Le fondement de cette décision était que ce qui était indemnisé est la perte de capacité de gains et non la perte de gains eux-mêmes.
La Cour d’appel dans l’affaire Wilson Davies conclut que la thèse du revenu brut doit être retenue. Tout d’abord, la conclusion en faveur du revenu net serait inconciliable avec l’arrêt Jennings qui lie les tribunaux inférieurs. Aucune distinction valide ne peut être faite pour permettre de s’écarter des enseignements de la Cour suprême dans cette affaire. Finalement, l’argument soutenu par le professeur Gardner quant aux différences entre la common law et le droit civil ne peut être retenu puisque, en matière extracontractuelle, le principe de la restitution intégrale est le même.
La Cour d’appel rejette par conséquent l’appel principal de la Ville et accueille l’appel incident de Mme Wilson Davies.